Puisque je vais mourir (IV)

Puisque je vais mourir (IV):

Un jour, pendant que je recouvrais de vernis de nouvelles horloges, Monsieur Jean est venu me voir avec un projet en tête: Il voulait que je construise ma propre horloge. Je m'en sentais incapable. J'avais déjà aidé mon patron à fabriquer des horloges mais jusque là, mon travail avait consisté en de petites manipulations. Il était hors de question pour moi de placer les engrenages au millimètre près. Des engrenages parfois même minuscules. Et là, Monsieur Jean me demandais d'en fabriquer une. Pire encore, de la concevoir entièrement. De créer les plans, de deviner où placer les roues dentées et les ressorts pour un travail optimal et un fonctionnement optimal.
C'était comme s'il me demandait la Lune.
Mais en même temps, j'étais très fier de cette demande dont je rêvais, en réalité.
Alors je me suis mit au travail. Nuits et jours, je dessinais et redessinais des plans que je jetais à la poubelle aussitôt après les avoir achevés.
Cette période a duré près de deux mois. Chaque jour, Monsieur Jean regardait dans l'atelier où j'en étais et il repartait sans rien dire. Je ne savais pas vraiment s'il était déçu ou non mais ses réactions me donnaient envie de persister encore et encore. Finalement, je n'ai jamais su terminer la moindre mécanique et c'est avec honte que je suis allé voir le vieil homme pour m'en excuser. Je m'attendais à ce qu'il soit fâché mais au contraire, il a sourit et a dit ça:

-Évidemment, créer un mécanisme aussi complexe est très difficile. Je ne m'attendais pas à ce que tu y parviennes. C'était un test. Je voulais savoir si tu étais suffisamment horloger dans l'âme pour apprécier le cadeau que j'allais te faire. Peut-être qu'il t'inspirera. Ça a été mon cas, quand mon maître m'a mit dans la situation que tu as vécue.

Et Monsieur Jean sortit une clé de sa poche. Une clé que je n'avais jamais vu mais je devinais ce qu'elle ouvrait.
Le vieillard se dirigea vers la chambre froide, utilisa la clé et ouvrit la porte. Ce que je vis à l'intérieur dépassa tout ce que j'avais pu imaginer.
En fait, je m'imaginais que la pièce serait chargée de milliers d'horloges ou de vieilles mécaniques. Mais à l'intérieur, il n'y avait qu'une seule et unique horloge. Cependant elle était immense. Tellement grande qu'à l'intérieur de la chambre froide, on n'aurait pas pu y mettre un pied. La seule chose que je trouva à dire fut:

-Comment vous avez fait pour mettre ça là-dedans?

Monsieur Jean sourit et répondit:

-Avec énormément de difficulté.

Aujourd'hui encore, je continue de penser que ce jour-là, il m'a prit pour un con. Avec énormément de difficulté, on peut foutre sa bite dans le cul d'une bonne sœur. Ça, c'est difficile. Mais mettre cette horloge là-dedans, ça relevait de l'impossible. Déjà parce qu'elle semblait être taillée dans le granit, puis parce que même avec la meilleure des volontés au monde, on ne peut pas faire passer un objet aux dimensions d'un petit entrepôt par une porte de chambre froide. Même un convoi de transport exceptionnel n'aurait pas pu amener ça là. En tout cas, avant, elle n'était là et maintenant, si. Ça, je ne pouvais pas le nier.

-Voilà la plus grosse des horloges que tu trouveras ici. Me dit le vieil homme. Ce sera certainement la plus ancienne, aussi. Je te présente Chronos!

Ainsi, Chronos était le nom de cette antique mécanique. Et je me trouvais devant sa chambre. Je venais de comprendre la signification de l'enseigne.

-Vois-tu, Chronos, dans la mythologie grecque, était le dieu du temps. Dans chaque mythologie, il y a un dieu plus ou moins apparenté au temps. Chronos est l'un des plus connus. Et si cette horloge s'appelle ainsi, c'est parce qu'elle semble bien être d'origine mystique.
Tu as déjà pu remarquer à quel point les horloges ici sont parfaitement réglées. Jusqu'au millionième de seconde. C'est grâce à la présence de Chronos. Quand tu es rentré ici et que tu m'as dit que ce lieu était magique, j'ai su qu'un jour ou l'autre, je te montrerais cette beauté.

Pourtant, beauté n'était pas le mot convenable. Elle n'était pas belle. C'était plus que ça. Majestueux. Et la voir, comme l'avait supposé mon maitre, m'avait inspiré. Cependant, j'avais soif de savoir. Je voulais connaître les secrets de Chronos.

-Ses secrets? Personne ne les connait. On sait qu'elle règle toutes les horloges à la perfection. On sait aussi qu'elle même, quel que soit le fuseau horaire sous lequel on l'étudie, elle est parfaitement réglée. Mais on ignore comment. Parce qu'il y a une dernière chose que l'on sait à propos de Chronos. C'est qu'elle ne comporte aucun mécanisme. Il s'agit juste d'un bloc de granit taillé. D'un bloc immense. D'un bloc immense avec des aiguilles. Des aiguilles qui donnent l'heure exacte. Mais on ignore tout le reste.