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The storyteller cat
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24 juillet 2011

La passerelle des amoureux...

La passerelle des amoureux

 

J'ai attendu qu'il soit 2 heure du matin avant de me risquer à sortir de mon lit. J'ai passé la soirée à surveiller l'heure en faisant semblant de dormir, ne voulant pas me risquer à mettre le réveil qui sonne assez bruyamment. M'extirpant de mes draps aussi délicatement que possible, je pose mes pieds sur la moquette qui compose le sol de ma chambre. Sans allumer la lumière, je m'habille rapidement mais non sans précaution, je ne veux pas me faire remarquer. Finalement prêt, j'ouvre la porte de ma chambre et je descends les escaliers en priant pour que les marches ne grincent pas. Heureusement, j'atteins le rez-de-chaussée sans soucis et mes parents ne sont pas réveillés. Je sors de la poche un bout de papier froissé que j'essaye d'arranger rapidement avec mes mains puis je le pose sur la table de cuisine où il devrait être découvert demain, au réveil de ma mère puis je me dirige vers la porte d'entrée. En l'ouvrant précautionneusement, je pense à la tristesse que vont éprouver mes parents et mes amis mais ma décision est prise et je ne ferais pas demi-tour. Alors je franchis le seuil de la porte et je m'en vais dans la nuit froide.

Il est 3 heure du matin quand j'arrive enfin au pont des Arts et comme je le prévoyais, personne n'était dans les parages, alors j'avance le long du pont et m'arrête au milieu, entre la troisième et la quatrième arche, face au pont Neuf. Je respire doucement l'air humide de la Seine qui passe sous moi et je sens mon cœur s'accélérer, ressentant un mélange d'excitation et de peur. Bercé par le son de l'eau qui s'écoule, je reste sans bouger quelques minutes puis je me rappelle mon objectif et commence à enjamber le garde-corps.

-Bonsoir, dit une voix à côté de moi.
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué qu'une femme s'est approchée de moi et je sursaute en l'entendant parler.
-Bonsoir, répondis-je à mon tour, reportant à nouveau mon attention sur la Seine.
-Tu vas vraiment sauter? Reprit-elle.
Je souffle, montrant mon agacement. Évidemment que je vais sauter. Je fais pas tout ça pour rien, quand même. Mais je me garde de dire tout haut ce que je pense et je réponds plutôt par un simple « oui ».
-D'accord, me dit-elle. Mais tu ne devrais pas faire ça. Surtout que tu vas sûrement rater ton suicide.
-Je ne sais pas nager, dis-je.
-D'accord, répéta-t-elle.
Curieux, je décide de regarder la femme qui me dérange dans mon suicide et je constate qu'elle a enlevé ses chaussures. Je reste un petit moment à observer ses pieds à la lueur de l'éclairage public puis je constate que des gouttes d'eau tombent. Alors je relève la tête et je vois qu'elle porte une pierre dans ses bras et que ses yeux sont remplis de larmes.
-Tu vas sauter, toi aussi? Demandais-je timidement.
Pas de réponse si ce n'est davantage de larmes. Alors je me reporte à nouveau au garde-corps du pont. Je passe une jambe. Puis l'autre. Et me prépare à me jeter à l'eau.
-Ne fais pas ça. Me dit-elle d'un ton presque implorant.
Je la regarde à nouveau. Elle aussi à franchi la barrière.
-Je trouve que tu ne manque pas de toupet, pour oser me dire de ne pas le faire alors que toi-même, tu compte sauter, dis-je.
Elle me regarde alors fixement et je remarque que malgré ses yeux humides, il s'agit d'une jolie fille.
-J'ai mes raisons, moi, me dit-elle.
-Ça tombe bien, moi aussi, dis-je.

Je reporte une nouvelle fois mon attention sur la Seine mais je ne saute toujours pas. Elle recommence à me parler.
-Tu sais comment s'appelle ce pont? Me demande t-elle?

-Le pont des Arts, répondis-je. D'ailleurs, ça tient bien son nom, c'est magnifique ici. Ce n'est pas pour rien que de nombreux peintres ou photographes passent leurs journées ici.
-C'est exact. Mais il existe un autre nom. Ajouta t-elle. Le pont des Arts est également appelé passerelle des amoureux. Cette fois encore, le nom est bien choisi puisque de nombreux couples qui traversent ce pont y attachent un cadenas avec leurs noms ou des messages d'amour puis jettent la clé dans l'eau. Ainsi, leur amour ne s'estompe jamais. Continue t-elle. Mais c'est de la connerie, tout ça! Ce n'est qu'un immense mensonge...
Elle désigne alors un cadenas attaché sur la passerelle du bout du doigt. Avec l'obscurité qui règne, je n'arrive pas à lire les noms inscrits dessus mais je devine que le prénom de la fille y est inscrit.
-Finalement, ce n'était rien pour lui. J'étais juste un passe-temps. Il m'a trompé et il est parti en me disant qu'il s'était bien amusé avec moi. Je veux mourir...
Maintenant qu'elle a arrêté de parler, je pense à nouveau à moi, à ma mort, mais maintenant qu'elle s'est confiée à moi, je n'ose plus sauter. Du moins, pas de suite. Elle m'a donné la raison de son acte désespéré et je trouve normal d'expliquer à mon tour pourquoi je veux en finir avec ma vie.
-J'ai 18 ans, dis-je. Je m'appelle Baptiste et je suis en terminale scientifique. Jusqu'en cinquième, j'avais beaucoup d'amis et les cours étaient intéressants mais ça n'a pas duré. En quatrième, j'ai voulu aborder la fille la plus en vue du collège. Inutile de dire qu'elle a refusé. Elle m'a rit au nez et le lendemain, tout l'établissement était au courant. En plus des filles qui se moquaient de moi, les garçons ont commencé à faire de moi leur tête de turc. Sûrement qu'ils m'en voulaient d'avoir aborder la fille alors qu'eux-même voulaient également le faire. Toujours est-il que dès ce moment, ma vie tranquille s'est transformée en enfer. Chaque jour, j'étais frappé, insulté. On me vidait des cartouches d'encre sur le crâne, on brulait mes vêtements, on urinait dans mon sac. Les professeurs, eux, faisaient comme s'ils ne voyaient rien. Et tout ça a duré jusqu'à aujourd'hui.
Je soulève alors mon tee-shirt et montre à la fille mon torse. Gravé au couteau, on peut voir un pénis grossièrement dessiné dessus. Ils m'ont fait ça tout à l'heure, dis-je. Je pense avoir plus de raison que toi de mourir, non? Alors ne saute pas, toi. Tu as l'air d'une jolie fille. Puis tu trouveras bien un garçon qui te méritera. Tu ne mérite pas de mourir pour un garçon qui s'est avéré être un grand con.
Je me penche à nouveau au dessus de l'eau, cette fois, plus rien ne m'empêche de sauter. Plus rien sauf sa voix.
-Si je n'ai pas à sauter, toi non plus, me dit-elle. Pourquoi tu devrais leur faire ce plaisir, à tes bourreaux? Pourquoi tu devrais les laisser s'en sortir comme ça? Il faut que tu vive pour qu'ils payent pour ce qu'ils ont fait. Moi, ma vie est irrémédiablement foutue. Je ne t'ai pas tout dit. Je m'appelle Claire. Comme toi, j'ai 18 ans et je suis en terminale littéraire. Je ne sais pas vraiment ce que je voudrais faire plus tard mais j'adore la lecture. J'adore Maupassant, Molière, Apollinaire... J'adore tellement que j'ai rejoint un groupe de lecture lorsque j'avais 16 ans. C'est là-bas que je l'ai rencontré. Il m'a tout de suite plu. Finalement, nous sommes sortis ensemble. Mais très vite, il s'est montré violent envers moi. Si je ne faisais pas ce qu'il voulait, il me battait. Mais j'étais amoureuse et je lui pardonnais tout lorsqu'il revenait vers moi en s'excusant et en jurant que c'était la dernière fois. Un soir, il m'a forcé à coucher avec lui. J'étais encore vierge et il n'a pas fait ça délicatement. Mais je l'aimais toujours. Alors soir après soir, je devenais sa chose. A 17 ans, je suis tombée enceinte et il ne voulait pas que les gens l'apprennent. Pas même des médecins. Alors au lieu de me faire avorter à l'hôpital, il a préféré le faire de lui même, avec un traitement à base de coups de poings et de coups de pieds. Ça a été efficace, j'ai perdu le fœtus... Tu vois? J'ai plus de raisons que toi de sauter. Vas t-en!
Je la regarde en écarquillant les yeux. Je n'aurais jamais pensé qu'elle avait vécu de telles choses. Mais je veux sauter. Et désormais, je suis déterminé à la sauver également. Alors je prends à nouveau la parole au moment où elle allait se lâcher.
-Je comprends que tu veuilles sauter. Tu as beaucoup souffert. Mais il ne faut pas que tu meurs. Tu as encore des années devant toi. Moi, je suis condamné, de toute façon. Tu sais, tout à l'heure, ils n'ont pas fait que me graver un pénis sur le torse. Ils m'ont forcé à me déshabiller et m'ont introduit des objets dans les fesses. Ça a commencé par des stylos jusqu'à des manches à balais puis une batte de baseball et ils ont prit des photos. Demain, elles feront le tour du lycée... Finalement, quand j'ai commencé à saigné, ils ont arrêté mais ils m'ont dit que la prochaine fois, ils me tueraient. Je préfère mourir par moi-même plutôt que par leurs mains.

Cette fois, c'est à son tour de me regarder avec des yeux écarquillés. Puis elle a ouvert la bouche à nouveau.
Nous avons échangé nos raisons pendant toute la nuit sans nous rendre compte que le jour se levait mais lorsque les premières personnes traversèrent le pont en nous regardant d'un air suspicieux, nous avons franchi à nouveau le garde-corps et chacun est rentré chez soi. Chez moi, tout le monde dormait encore alors j'ai récupéré le mot que j'avais posé et je suis allé me doucher. Je n'avais pas renoncé à me suicider mais j'attendais la nuit prochaine.
Lorsqu'il fut 2 heure du matin, j'ai fait comme la veille et à 3 heure, j'étais à nouveau sur le pont. Claire était déjà là, prête à sauter à nouveau. Je lui dis bonsoir et je m'installe à côté d'elle. Cette nuit encore, aucun de nous n'a sauté. Nous avons continué à raconter nos malheurs et au levé du soleil, nous sommes partis à nouveau.
La nuit d'après s'est montrée identique aux précédentes, chacun cherchant à démontrer la légitimité de son acte et l'absurdité de l'action de l'autre et nous nous sommes séparé lorsque le soleil s'est montré. Au fil des nuits, nous nous sommes revu. Mais on ne parle plus de suicide. Nous nous installons sur le sol, dos appuyé contre le garde-corps et on parle des bons moments que nous avons vécu. Finalement, nous nous endormons l'un contre l'autre et lorsque le soleil se lève, on se sépare en se promettant de se revoir le soir.

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Commentaires
L
je sais pas comment tu trouves toute cette inspiration c'est juste magnifique et tarrives super bien a nous faire resssentir les choses et c'est le principal .
S
c est ce que je me tue a lui dire :D
B
ton histoire est vraiment touchante et tellement recherché....elle demande énormément de réflexions c'est pour cela que je l'admire beaucoup. tu ne devrais pas t'arrêter à un simple blog crois moi ;) tu as beaucoup de talent
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